Nous ne faisons pas l’éloge du ralentissement au détriment de la vitesse. Il peut y avoir un réel plaisir à aller vite, d’ailleurs certaines activités ne peuvent se faire autrement ! Un médecin urgentiste ne peut aller lentement. Il est dans l’urgence, il doit aller vite et ce sont ses compétences qui vont être mises en avant. Il aura été rapide, cela lui aura donné un sentiment d’accomplissement, mais l’aura mis dans un état d’extrême vigilance, dans un état de totale présence à lui-même, connecté à son savoir-faire mais aussi à son intuition. Ces moments de vie dans l’urgence du travail bien fait, sont autant d’accumulations de sentiments de réussite, qui donnent la sensation de contrôler l’environnement et de contrôler sa vie. Ça donne un sentiment de puissance.
Dans le cas précédent la vitesse permet de ressentir un certain équilibre. Mais lorsque notre équilibre dépend du regard de l’autre, lorsqu’il dépend du besoin de se réaliser vis-à-vis de l’autre, dans une pression constante de la société ? pour être dans le coup, faire partie du groupe. Sommes-nous vraiment puissants dans cette dépendance ? Ne ferions-nous pas tout ça, pour être comme tout le monde, comme les autres ? Pour se reconnaître dans le stress de l’autre et justifier le nôtre ?
Et si nous osions de temps en temps une déconnexion ? Certains le font, sentant le danger de ne plus avoir d’espace pour soi.
Des espaces pour soi, ce sont des souffles, des intervalles d’oxygénation. Ce sont des pauses, où tout peut se modifier à l’intérieur de soi. Le mouvement lance une action et l’immobilité permet à cette action de poursuivre son chemin, de prendre son envol. Je le constate, dans les soins. Que ce soit dans le drainage lymphatique, où le relâchement de la pression est la condition indispensable pour que le réseau d’eau soit réactivé, et permette l’efficacité du soin. Que ce soit dans un soin de fasciathérapie où c’est la pression et l’immobilité qui vont appeler l’énergie à se mobiliser. C’est toujours dans cette pause, que le corps intègre, se mobilise, pour maintenir ou retrouver son équilibre. Ce n’est pas au moment où le mouvement se fait, mais c’est dans l’instant d’arrêt, que tout se joue. On lui donne l’information, et il va l’utiliser comme il le veut. Nous lui avons donné la parole, nous lui avons fait confiance et il bouge, il intègre les informations et modifie nos paramètres. Comme dans notre vie, les moments d’arrêt sont propices aux prises de conscience. Notre corps est capable de nous en apprendre énormément sur la meilleure manière d’appréhender la vie. Pourquoi s’en priver ?
Bien sûr, nous n’avons pas tous les mêmes résistances pour faire face aux pressions. Nous sommes tous différents. Nous arrivons sur terre avec une morphologie, des besoins, des aptitudes, un capital énergétique, une santé différente. Comme le disait déjà Hippocrate, avec sa théorie des 4 tempéraments. Un lymphatique ne se comportera jamais comme un bilieux. Comment va-t-il s’en sortir dans une société où la place première est donnée à un sur-actif ? où les lents sont mis en marge.
Ce qui est fort intéressant, c’est que certaines approches thérapeutiques considèrent la thyroïde comme l’organe en lien avec notre rapport au temps. Son équilibre et ses fonctions seraient altérés en fonction du stress occasionné par notre problématique au temps. Il symboliserait la gestion du temps, la créativité. En médecine, il est responsable, entre-autres de la croissance, du métabolisme. Ce qui m’amène à me poser la question suivante : est-ce parce que nous allons toujours plus vite que la thyroïde baisse son activité. Cherche-t-elle à nous faire ralentir ? Le nombre de personnes qui souffrent d’hypothyroïdie (baisse des fonctions de la thyroïde) est toujours en croissance ! Ce nombre a considérablement augmenté ces dernières décennies. L’hypothyroïdie se caractérise par un ralentissement de toutes les fonctions du corps. La marche est ralentie, les mouvements sont ralentis, les organes fonctionnent au ralenti, la prise de poids les guette. Le corps dans sa grande intelligence chercherait-il à nous faire ralentir ?
Nous continuons malgré tout à courir dans tous les sens. Aurions-nous différentes façons de courir ? Courir, quand il n’y a aucune satisfaction, aucune reconnaissance, avec un sentiment de stress, a-t-il le même impact que courir avec plaisir ?
Car il est bon de sentir ces journées remplies lorsque l’activité nous comble ! On coure, on coure, non pas par peur du vide, ou par peur de la solitude, mais pour mettre au dedans de soi le maximum de joie, de pétillance. Oui, courir et se remplir de ce qu’on aime faire, c’est aussi trouver un équilibre entre beaucoup de fatigue certes, du stress aussi, et une immense joie ressentie. Cette joie vient de nulle part. On est simplement là où on doit être. On fait ce qui nous plaît et qui nous comble. Notre journée de travail a changé d’appellation, c’est une journée d’activités passionnantes. On est dans son choix de vie, dans son destin et la fatigue n’existe plus. Dans cette situation, le danger est de ne pas mettre de limites, d’oublier de s’arrêter car l’activité nourrit notre âme et l’on oublie qu’il y a un corps à respecter. Nous poussons les limites. Si nous voulons continuer à être nourris par ces journées sans fin, si nous voulons continuer à être nourris par ce qui nous anime, alors, il faudra, de temps en temps, trouver le moyen d’arrêter notre train à grande vitesse et faire une halte ressourçante. La vitesse, quand elle est animée par une passion, ne se vit plus intérieurement de la même manière. Elle donne vie et anime tout ce que nous faisons, mais le corps a ses raisons et nous ne pourrons faire l’impasse de l’alternance. Comme le disait déjà Sénèque, l’alternance entre vitesse et lenteur est bénéfique. Et nous nous retrouvons face à cette fameuse recherche de l’équilibre. L’équilibre, il n’est possible, que dans l’accueil de tous les aspects d’une même chose et dans les mêmes proportions… Vaste programme ! ce sera pour un autre article !
Comme vous l’aurez compris, il n’est pas question d’opposer la vitesse et la lenteur. D’ailleurs deux aspects opposés ne parlent-ils pas de la même chose ? La sensation de vie peut se ressentir par une activité intense qui nous enthousiasme et par des moments de pause, complètement à l’arrêt, dans une conscience du souffle qui nous habite. La vie peut se ressentir de manière très intense dans cette immobilité, les mouvements d’énergie dans notre corps peuvent devenir très conscients... C’est parfois une révélation à l’occasion d’un massage, d’une séance de drainage lymphatique, d’un autre soin, d’un cours de yoga, etc…
Pourquoi opposer la vitesse et la lenteur, comme deux attitudes différentes et, à nouveau, porter des jugements en privilégiant une attitude plutôt qu’une autre. Dans une approche respectueuse de toutes nos différences, nous n’attendons pas de l’autre qu’il soit comme nous, ou qu’il nous conforte dans l’idée que nous avons pris le bon chemin, trouvé le bon équilibre. Il ne vient pas combler nos incertitudes. Il ne comble pas notre vide.
Dans cette attention à soi, nous avons su trouver l’équilibre entre faire et ne pas faire, dans des proportions spécifiques à chacun. Nous sommes pleins de cette paix, conscients d’être en accord avec nous-mêmes, avec nos choix de vie. Nous arrivons, non plus, pleins de vide, mais pleins de vie.
Le temps est devenu précieux, justement comme tout ce qui nous manque, on le convoite, on ne veut pas le gaspiller et on essaie de trouver des solutions.
J’espère qu’à la lecture de ces articles, chacun de vous aura pu se féliciter de ses modes de fonctionnement, ou se réconcilier avec ceux-ci… Avoir peut-être envie de se poser des questions quant à ses choix, ou ses non-choix.
© Alice Duruz - 2019
Information sur le Média :
France Inter
Grand Bien vous fasse animée par Ali Rebeihi
A quelle vitesse faut-il vivre ?
Invités :
Martin Legros
Rédacteur en chef de Philosophie Magazine
David Le Breton
Anthropologue et sociologue, auteur de Marcher.
Éloge de chemins et de la lenteur et Disparaître de soi une tentation contemporaine, Edition Métailié
Christilla Pellé-Douël
Journaliste Psychologie magazine
Auteur de "Ces livres qui nous font du bien", Edition Marabout
Proposition de livre :
Du bon Usage de la lenteur
Pierre Sansot, collection Rivages-Poche